Pourquoi j’écris autant de scènes de sexe

Une scène de sexe, c’est juste une excuse pour insérer du contenu pornographique dans un bouquin. Ça n’apporte rien à l’intrigue. Premièrement, tout le monde sait comment on baise. Ensuite, ces scènes ont toutes été écrites de millions de fois dans d’autres romances; c’est toujours la même chose. Et, bien souvent, ça se résume à des clichés qui n’ont pas grand-chose à voir avec notre véritable expérience sexuelle…

As-tu déjà pensé l’une des phrases ci-dessus? Peut-être toutes? Moi aussi… avant chacune des scènes « hot » que je m’apprête à écrire. Même après dix ans, je me mets inévitablement à me poser mille questions et à me demander si une telle scène est vraiment nécessaire.

Notre culture est-elle puritaine?

La toute première fois que j’ai essayé d’écrire une romance — il y a dix ans (1), donc — la question a été vite tranchée : il m’était impensable d’y inclure une scène sexuelle! Hélas, les lectrices n’ont pas aimé mon histoire d’amour « chaste » et, même si ce n’était pas (seulement) dû à l’absence de sexe, leur réaction critique m’a poussée à remettre en question mes préjugés et à sortir de ma zone de confort.

J’ai admis que toutes mes raisons pour ne pas écrire de sexe explicite étaient en réalité des excuses, et qu’il ne tenait qu’à moi d’explorer les moyens d’écrire des scènes intéressantes, pertinentes, qui vont au-delà du copier-coller de ce que j’ai pu lire sous d’autres plumes. Au fond, je crois que c’est un cercle vicieux : moins on ose écrire ces passages, moins on y est sincère, et plus ils paraissent être la figure imposée qu’ils sont. Au contraire, dès qu’on consent à les traiter comme n’importe quelle autre scène, il n’y a aucune raison de ne pas s’y amuser autant!

photo d'un bouquet de fleurs sur une table entouré de petites bougies

En quoi une scène « hot » peut-elle servir l’intrigue?

Pour répondre à cette question, il faut justement cesser d’envisager l’acte sexuel sous son angle conceptuel ou théorique. Le but n’est pas d’expliquer aux lectrices comment marchent les organes génitaux. Le but n’est pas d’établir que le pénis du héros a pénétré le vagin de l’héroïne. Si ça devient le cas, c’est là qu’on se met à avoir besoin de pimenter l’interaction, de recourir à des pratiques de plus en plus exotiques ou hard — juste pour avoir encore quelque chose à raconter.

Or, pour ma part, je n’écris que du sexe « vanille », comme on dit en anglais. Pas de BDSM, pas de kink, pas de fétichisme. Pourtant, je n’ai jamais l’impression d’écrire deux fois la même scène, ou que tous ces moments seraient interchangeables les uns avec les autres.

Paradoxalement, si c’est un sujet un peu tabou, c’est bien parce qu’on reconnaît que le sexe n’est pas anodin, insignifiant. Surtout aux débuts d’une relation (ou de retrouvailles), l’acte sexuel est plein de symboles : engagement, prise de risque, expérience à vivre, test de « compatibilité », don de soi, passage à l’exclusivité (selon les intrigues, on peut encore en imaginer d’autres). Et, bien souvent, ce n’est pas le simple fait de le faire qui cristallise toutes ces significations, mais aussi la façon dont cela se déroule. Bien ou mal? Facilement ou difficilement? Comme on le prévoyait, ou pas du tout?

Une remarque blessante, une déclaration inattendue, une complicité rassurante, un plaisir inédit, un préservatif qui se brise : un seul détail peut suffire à envoyer l’intrigue dans une direction complètement différente… En cela, ce n’est pas juste « le fait d’avoir couché » qui a une influence sur l’histoire, mais bel et bien le contenu de la scène elle-même; ce que l’héroïne a dit, ce que le héros a fait, ce qu’elle a ressenti, ce qu’il a compris (ou pas…), etc. Et, comme n’importe quelle scène, une scène d’amour peut participer à la tension dramatique générale du roman : en donnant une raison aux protagonistes de se revoir, alors qu’ils ne devaient pas; en créant un malentendu entre eux qui aura des répercussions sur le reste de l’histoire; en révélant quelque chose d’important sur l’un des personnages, et ainsi de suite.

photo de quatre pieds nus emmêlés qui dépassent d'une couette, sur un lit

Ce qui rend une scène « hot » unique, et non générique

Cependant, au-delà du rôle qu’une scène de sexe devrait remplir dans un roman (sinon, une ellipse fait très bien l’affaire), il s’agit aussi d’écrire quelque chose de pas trop chiant. Quand on planifie un roman, il y a des scènes nécessaires, qui sont là pour des raisons claires et évidentes… Mais, au moment de les écrire, l’inspiration manque parfois, et on rate son effet. On se retrouve avec une scène plate, convenue, sans originalité, qui se réduit à son utilité scénaristique. Comment évite-t-on ça pour une scène d’amour, après qu’on en a lu, voire écrit des centaines?

Encore une fois, il faut se rappeler que les personnages viennent au lit (ou ailleurs) avec bien plus que leurs simples organes sexuels. Ils y viennent avec leurs espoirs, leurs peurs, leurs illusions, leurs désirs, leurs fantasmes, leur passé ou, au contraire, leur inexpérience… Et c’est tout ça, pour moi, qui rend chaque scène de sexe singulière, autant que mes personnages sont singuliers, et que les circonstances dans lesquelles ils décident de passer à l’acte le sont aussi.

Dans une scène « hot », les protagonistes se mettent à nu, au sens figuré autant que propre. À cet égard, la romance telle que je la conçois est peut-être l’exact opposé de la porno : mes héros ne sont pas en représentation, mais, à l’inverse, à leur plus vulnérable.

Il paraît ainsi que certaines auteures et lectrices n’aiment pas le préservatif, parce que ça « casserait » l’ambiance. Or, c’est précisément ce que moi, je recherche : ces cassures, ces ruptures, ces moments de vérité où l’on dérive du script, où l’on improvise, où l’on se trompe, où l’on s’expose… C’est pourquoi j’aime autant les détails, crus ou autres; parce que ce sont eux qui confèrent sa dimension psychologique à un acte par ailleurs banal.

photo d'une orchidée en noir et blanc

Des scènes « hot » authentiques, pas autobiographiques

On lit des romances pour s’évader, pour fantasmer. Mais aussi, je crois, pour s’identifier, pour se retrouver. Ou peut-être les deux à la fois : pour se projeter à distance de soi-même, pour devenir l’autre. C’est du moins comme ça que j’ai toujours vécu la littérature, et les scènes de sexe n’ont pas à faire exception à la règle.

Pour moi, il n’est pas question d’écrire une scène esthétisée, édulcorée — cela reviendrait à un rejet du sexe, qui est toujours quelque chose d’un peu bestial, d’un peu crade, d’un peu honteux. Pour autant, il n’est pas non plus question de brider son imagination. Après tout, mes personnages ne sont pas moi, et leur histoire n’est pas la mienne. Les mettre dans des positions que je n’ai jamais connues, les pousser là où je ne suis jamais allée, leur donner droit à un peu mieux ou leur infliger un peu pire, se demander ce qui se passerait « si seulement »… Tout cela fait partie du privilège et du bonheur de l’écrivain, et ce n’est pas parce qu’il s’agit de sexe qu’il faut s’en priver!

J’essaie toujours d’ancrer mes descriptions dans un certain réalisme. Mais le réalisme que cherchent les lectrices, ce n’est pas tant celui de l’anatomie et des lois de la physique; c’est avant tout celui du cœur, des sensations, des émotions. Et c’est peut-être dans ce domaine que l’auteur se dévoile le plus, en même temps qu’il peut le plus facilement se dissimuler…

Érotisme : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie?

Je n’ai jamais songé que j’écrivais de la romance érotique. Je n’écris pas de sexe pour le sexe; s’il ne m’apparaît pas utile de décrire l’acte, je ne le décris pas. Pourtant, il y a quatre scènes sensuelles dès les quatre premiers épisodes de Nocturne et, pour certaines personnes, ça fait déjà beaucoup…

Mais voilà : je ne fais pas de dichotomie entre actes objectifs et émotions subjectives. Il n’y a pas d’opposition selon moi entre une scène à caractère sexuel, et une scène qui permet de faire avancer l’action. L’un n’empêche pas l’autre, au contraire : j’espère t’avoir expliqué dans ce billet comment les deux s’entraident, se soutiennent l’un l’autre. La première saison de Nocturne met en scène une relation au départ purement physique, qui évolue peu à peu vers une vraie relation amoureuse — c’est aussi ce que j’aime en romance : cette possibilité de déjouer les codes habituels du « dating », de tracer d’autres scénarios pour des histoires moins conventionnelles.


(1) J’ai rédigé cet article en 2019, et je le laisse volontairement tel que je l’ai écrit à l’époque.

Photo « pieds » par rawpixel sur Unsplash
Photo « orchidée » par Zoltan Tasi sur Unsplash
Photo « bouquet et bougies » par Lon Christensen sur Unsplash

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